Tout ce qui est simple est faux

Philippe Milcent (rédacteur en chef du JSOP)

Publié le lundi 11 février 2019

Contre le « simplicisme » et la « twitterisation » des esprits.
Philippe Milcent

NOUS VIVONS AUJOURD’HUI SOUS LE JOUG du « simplicisme », cette dictature du raccourci et de l’immédiateté qui nous affaiblit mentalement et nous égare. Appelons cela la « twitterisation » des esprits. Peut-être est-il bon, pour s’en défendre, de nous rappeler aussi souvent que possible une règle fondamentale : tout ce qui est simple est faux.

La complexité (1), le grand nombre, la diversité des paramètres, leurs interactions et leurs effets de feed-back qui interférèrent entre eux dans des systèmes justement appelés complexes – parce qu’ils le sont –, condamnent toute recette magique supposée résoudre les problèmes.

Cette règle vaut dans tous les domaines : l’histoire, la science – y compris les sciences politiques –, la climatologie, la sociologie, la philosophie et, bien sûr, la médecine et la clinique au quotidien.

Comment élaborer un plan de traitement cohérent, suivre un cheminement thérapeutique efficace, appliquer des protocoles adaptés ? Nous connaissons tous la difficulté de cette épreuve quotidienne, largement accrue par les biais cognitifs qui faussent parfois nos analyses et nous font agir de travers. Si l’on admet avec le philosophe Ruwen Ogien que la simple digestion (bonne ou mauvaise), un rayon de soleil (ou la pluie), une brise légère (ou la tempête) ont une influence sur nos décisions (2), alors nous avons le devoir d’interroger notre objectivité et notre indépendance intellectuelle.

Franck Renouard, l’un des conférenciers de la journée du 17 octobre intitulée « Décisions absurdes : comment les éviter ? », m’a conseillé un livre qui décrit et analyse une multitude de pièges dans nos modes de raisonnement (3). Notre pensée peut en effet aller vite, de manière intuitive et émotionnelle (système 1) ou lentement, mais plus réfléchie et logique (système 2).

LE PROBLÈME VIENT DE CE QUE NOUS SOMMES SOUVENT SUBMERGÉS par le système 1. Et ne parlons pas des manipulations dont nous sommes victimes ou auteurs, conscients ou pas (4).

Seuls face à nos patients et à leur demande, nous devons pourtant décider et agir. Or, la raison d’être de la SOP a toujours été, non pas de débiter des formules toutes faites, non pas de distribuer du « prêt-à-soigner », mais de donner à tous les moyens de se poser les bonnes questions pour appliquer les meilleurs traitements. Qu’il s’agisse de la Journée « No(s) Limit(es) », de la Journée « Migrations et déplacements dentaires » ou de la Journée « Décisions absurdes », c’est cet engagement que nous voulons tenir cette année encore.
 

Philippe Milcent,
rédacteur en chef du JSOP

(1) Edgard Morin, Introduction à la pensée complexe, Seuil 1990.
(2) Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Grasset 2011.
(3) Daniel Kahneman, Système 1 Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion 2012.
(4) Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, PUG 2014.