Quelle prise en charge des érosions

Quelle prise en charge des érosions

par Pierre Colon

 

Le bruxisme n’est pas la seule pathologie qui peut entraîner une usure de l’organe dentaire. De nombreux patients souffrent d’érosion, une perte de substance causée par un procédé chimique en dehors de tout contexte bactérien.

 

Épidémiologie

 

Le phénomène d’érosion dentaire prend de l’importance dans toutes les régions du monde (en Islande, aux États-Unis, dans le sud de la Chine, etc.). Ces évolutions sont à corréler avec les modifications récentes de nos habitudes alimentaires et de nos modes de vie. Plus que la nature des aliments et des boissons consommés, c’est le mode de consommation qu’il faut surveiller. Siroter ou grignoter prolongent ainsi la durée de contact et aggrave le phénomène érosif.

 

 

Facteurs étiopathogéniques

 

L’érosion est une attaque acide. Les sodas, les agrumes, les condiments et certains médicaments sont des sources d’acidité. Mais l’usure peut également résulter de problèmes de santé généraux. L’anorexie, qu’elle soit restrictive ou boulimique, comme le reflux gastro-oesophagien (RGO) sont responsables d’usure dentaire. Le diagnostic doit également prendre en compte la salive qui constitue un facteur protecteur important dont la sécrétion peut varier au cours de la journée ou en fonction de certaines médications. Dans sa démarche, le chirurgien-dentiste doit également prendre en considération d’éventuels problèmes d’ordre mécanique (abrasion, attrition).

Une personne anorexique peut développer un RGO et avoir une méthode de brossage inadaptée ! La difficulté sera alors de faire la part entre les différentes étiologies. L’observation clinique apporte beaucoup de renseignements si l’on sait où porter son regard. Nous devons focaliser notre attention sur la forme, la symétrie, la teinte, la symptomatologie associée, la localisation, le caractère isolé ou plural. Ainsi, une lésion concave aux contours mal définis correspond à de l’érosion. Une facette lisse et brillante qui s’observe aussi sur la dent antagoniste doit évoquer l’attrition. Une lésion asymétrique sur les faces vestibulaires constitue un signe de brossage traumatique. Le praticien doit « enquêter »… Un RGO peut causer des lésions asymétriques s’il est nocturne et si le patient dort préférentiellement d’un côté ! Ce diagnostic précis doit nous mener à une prise en charge efficace. Si le réapprentissage du brossage peut endiguer l’abrasion, il ne met pas un terme à la progression du phénomène érosif associé… Il faut donc veiller à ne pas se limiter à la cause évidente de l’érosion : une étiologie peut en cacher une autre !

 

 

Prise en charge

 

Par conséquent, il ne s’agit pas d’établir un traitement purement restaurateur. La prise en charge est toujours précédée de la phase diagnostique, laquelle constitue une étape incontournable. Elle peut cependant débuter avant l’élimination complète de tous les facteurs étiologiques, qu’il est parfois difficile de faire totalement disparaître (anorexie, addiction, etc.).

Impliquer le patient dans le résultat esthétique constitue dès le début du traitement une bonne façon de l’aider à gérer ses habitudes nocives. Les premiers conseils à donner sont assez simples. Les amateurs compulsifs de soda doivent limiter le temps de contact avec leurs dents et utiliser une paille. Les patients souffrant de vomissements répétés peuvent différer le brossage et se contenter de se rincer la bouche à l’eau juste après régurgitation. Les bains de bouche et les gommes à mâcher sont utiles, au moins pour stimuler la sécrétion salivaire. Il faut, si possible, éviter les médicaments sialoprives et ne pas se limiter à une alimentation végétarienne (certains fruits et légumes sont acides et souvent accompagnés d’une sauce elle-même acide).

La méthode de brossage doit être atraumatique, le parodonte étant déjà agressé par l’acidité. Ces conseils indispensables sont parfois insuffisants et doivent être associés à des traitements restaurateurs. La mise en place d’un système adhésif, de préférence automordançant, permet de limiter les sensibilités tout en préparant le substrat à une éventuelle restauration collée. Il reste cependant peu résistant à l’abrasion. On réduit les sensibilités efficacement et simplement en attendant le début du traitement. La forme des lésions érosives offre très peu de rétention et requiert l’utilisation de techniques adhésives. Il est possible dans la plupart des cas de travailler sans préparation. On préserve le maximum de tissus sans avoir à mutiler des dents déjà usées.

La technique directe est souvent une bonne indication, mais les cas complexes peuvent imposer le recours au laboratoire. De nouvelles formes de préparation sont explorées, et les facettes linguales au maxillaire antérieur en composite semblent prometteuses. Dans certains cas d’érosion sévère, la perte des reliefs occlusaux entraîne un proglissement mandibulaire. Le traitement nécessite alors d’augmenter la dimension verticale d’occlusion mais aussi de retrouver une nouvelle position de référence pour retrouver un espace prothétique en antérieur. L’apport de la dentisterie adhésive est incontestable chez ce genre de patients où les traitements conservateurs doivent être privilégiés. Les tissus perdus sont remplacés sans majorer la perte tissulaire, un atout incontestable pour des patients souvent jeunes amenés à de multiples réinterventions.

 

 

 


Les points clefs

 

1 - Se focaliser sur le diagnostic. 

2 - Rechercher parfois plusieurs étiologies.

3 - Cibler la qualité du relationnel avec les patients.

4 - Exploiter les possibilités de la dentisterie adhésive.

5 - Préserver les tissus.

 


 

 

Légendes des photographies et des illustrations :

 

Illustration n°1 : Les facteurs étiopathogéniques.

 

Photographie n°2 : Abrasion + érosion + attrition.

 

Photographie n° 3 : Érosions d’origine extrinsèque et intrinsèque.

 

Photographie 4 : Illustration de l’attaque acide par régurgitation : dent indemne.

 

Illustration 5 : Adoucissement du relief cingulaire.

 

Illustration 6 : Exposition dentinaire cervicale.

 

Illustration 7 : Exposition dentinaire linguale et perte de hauteur vestibulaire.

 

Photographies 8.a et 8.b : Résultat final.