Le bien commun

Marc Roché (président de la SOP)

Publié le vendredi 20 mars 2020

« Confiner le médical pour l’isoler du virus du profit »
Marc Roché

À TOUTE CHOSE MALHEUR EST BON. Dit-on. Nous retiendrons du discours du président de la République, le 16 mars dernier, qu’il y aura un avant et un après. Un avant et un après-guerre, si nous avons bien compris. Puisque six fois le mot guerre a été prononcé. Voilà un propos qui, à notre sens, devrait nous remplir d’optimisme. Avant-guerre, les donneurs d’alerte ne trouvaient pas écoute ; leurs arguments étaient taxés d’utopie.

Après-guerre, il devrait en aller tout autrement puisque, après quelques semaines de confinement propices à la réflexion, un chômage partiel, le ralentissement de l’économie mondiale, l’effondrement des bourses, l’intervention des États – 300 milliards pour soutenir les Français et 870 milliards alloués par la BCE pour relancer l’économie –, les esprits seront mieux préparés à reconnaître les mérites de l’État social.
Les certitudes néolibérales seront moins affirmées ; le keynésianisme sera peut-être à nouveau d’actualité. Car seules la discipline et la solidarité auront eu une efficacité face à l’épidémie de Covid-19, qui a mis en évidence la vulnérabilité de la société mondialisée. Les esprits seront mieux préparés, comme celui de Jean-Marc Sylvestre, cet éditorialiste économique thuriféraire du néolibéralisme qui, en 2002, après un infarctus compliqué d’une maladie nosocomiale, avait encensé le service public qu’est l’hôpital pour lui avoir sauvé la vie (1).

FACE À UN ENNEMI INVISIBLE qui n’a besoin ni de passeport, ni de billet d’avion pour voyager, transmis qu’il est par les simples gouttelettes de Flügge, la robustesse du système de santé et l’abnégation de ses personnels sont mises à l’épreuve. Une épreuve de rupture. Un crash-test en quelque sorte pour ce parent pauvre – avec la Recherche dont on attend à présent aussi la réponse – des budgets nationaux.
C’est donc sur un système de santé bien mis à mal par les lois du marché (2) que survient cette pandémie.

Pour en revenir à l’après-guerre, dans un éditorial intitulé « L’autre capital » daté de février 2016, nous rappelions que « notre système de santé avait été voulu en 1945 par le Conseil national de la Résistance, à une époque où la solidarité tombait sous le sens (car) chacun ressentait qu’il pouvait être frappé par la fatalité.
[...] Soixante ans après, avec les progrès de la science et les statistiques, on pense pouvoir évacuer le fatum et, de la sorte, comme pour une quelconque autre assurance – mais qui, dès lors, ne serait plus une couverture sociale –, garantir une couverture santé directement corrélée au risque individuel encouru par chacun
. »

AUJOURD’HUI, LE RISQUE EST MONDIALISÉ sous la forme d’un virus, le SARS-CoV-2 (3), et la fatalité signe son retour. Et avec elle la nécessité d’introduire vis-à-vis des impératifs d’ordre économique une nécessaire « exception de santé publique » calquée sur ce qu’est l’exception culturelle, telle que la France avait su la défendre dans le cadre des accords du GATT de 2003.
Cela sous-entend une refonte complète du système de santé. Rendre voix au chapitre aux médecins derrière l’avis desquels on sait se retrancher quand il s’agit de prendre une décision d’ordre politique, mais qui n’ont plus aucun pouvoir au sein des structures hospitalières. Reconsidérer les modes de tarification et de rémunération.

En un mot, confiner le domaine médical de façon à l’isoler du virus du profit. Pour le bien commun.


Marc Roché,
président de la SOP


(1) Jean-Marc Sylvestre, Une petite douleur à l’épaule gauche, éd. Ramsay 2003.
(2) Lire l’éditorial « La loi du marché » JSOP n° 4, 2015

(3) SARS-CoV-2 est le nom donné au virus par la Genbank car sa séquence nucléotidique est à 96 % identique à celle du SARS-Co, responsable de l’épidémie de 2003. Michael Lin, PhD-MD, Stanford Laboratory.