La loi du marché

Marc Roché (président de la SOP)

Publié le vendredi 01 mai 2015

Avec la mort programmée de la médecine libérale, c'est la médecine ultralibérale que nous voyons donc naître aujourd'hui.
Marc Roché

LE 14 AVRIL 2015, jour où la « loi de modernisation du système de santé » a été votée à la Chambre des députés, est à marquer d’une pierre noire. 

On a parlé de loi fourre-tout, d’un texte mal goupillé, mais il n’en est rien. Il s’agit au contraire d’un savant dosage de mesures complémentaires destiné à faire accepter (par tous les partis qui comptent : salles de shoot, tiers payant généralisé…) rien moins que la refondation du système de santé en tournant le dos, sans le dire, au principe républicain de solidarité inscrit au fronton de toutes les mairies de France sous le vocable de « fraternité ». 

Après l’institution de la tarification à l’activité à l’hôpital (T2A), qui y a introduit le conflit d’intérêts et en a perverti le fonctionnement (soigner le patient ou le budget de l’hôpital ?). Après que les représentants des mutuelles se sont assis aux tables de négociation et que la CCAM a été instituée en méthode de contrôle et de surveillance. Après une campagne de dénigrement des professions médicales flattant les sentiments les plus vils et stigmatisant de manière perverse les « dépassements d’honoraires », qui n’ont pourtant aucune commune démesure avec certains parachutes dorés. Après tout cela, la loi pouvait être votée car les seuls défenseurs des patients qui restaient étaient les professions de santé. En ouvrant le système de santé aux capitaux privés, cette loi donne un cadre juridique aux intérêts de la finance et de l’industrie, pour qui le patient n’est qu’un client pourvoyeur de cotisations et un consommateur de médicaments et de progrès techniques.

 

LE TIERS PAYANT GÉNÉRALISÉ donne aussi la primeur à la finance en instaurant la subordination du médecin au financeur, sa prééminence sur la relation praticien-patient. Partout est évoquée l’exigence de transparence, mais lorsque le symbole que représente le paiement direct et transparent du praticien par le patient (1) est supprimé, c’est le médecin et sa médecine qui deviennent transparents. La médecine qui, dès lors, ne peut pas être autre chose qu’actes techniques et ordonnances, et non plus écoute, explications, conseils ou empathie. Ni temps, ni humanité.

Avec la mort programmée de la médecine libérale (2), c’est la médecine « ultralibérale » (3) que nous voyons donc naître aujourd’hui. Une médecine de technocrates pour des techniciens qui, « progrès » oblige, va pousser à des plateaux techniques de plus en plus onéreux, vite trop lourds pour des praticiens isolés.

 

NOTRE PROFESSION EST AU COEUR DE CET ENJEU. Aura-t-elle la sagesse de se laisser convaincre que la santé bucco-dentaire des Français dépend moins de l’empreinte optique, de la CFAO ou encore du laser Yag que de l’hygiène et de la prévention, de l’apprentissage des techniques d’empreinte, d’indications bien posées, d’intégrité et de formation continue ?

Industrie et finance ont visiblement plus besoin des bouches des Français que l’inverse. Alors, à nous de respecter les bonnes indications et de ne pas plier devant cette loi du marché qui ne relève pas de notre culture si nous voulons éviter la prolétarisation (4) et rester ce que nous sommes.

 

  

Marc Roché, rédacteur en chef du JSOP 

 

 

 

(1) « Tact et démesure », éditorial du JSOP daté mars 2007, à lire ou relire en cliquant sur ce lien .

(2) Voir la vidéo de Xavier Gouyou-Beauchamps : L’aveu de Brigitte Dormont.

(3) Les Mystères de la gauche, Jean-Claude Michéa, éd. Champs essais, p. 131.

(4) Du mode d’existence des objets techniques, Gilbert Simondon, éd. Aubier.