Un cas complexe de remplacement d'une incisive centrale

Un cas complexe de remplacement d’une incisive centrale

par Ph. Russe

Photo Dr Russe

 

Le remplacement d’une incisive centrale constitue un défi à plusieurs égards. Il existe plusieurs composantes importantes :

• une composante esthétique (qui porte à la fois sur les tissus durs et les

tissus mous) ;

• une composante psychologique. Bien souvent, le patient voudrait retrouver une situation « ad integrum ». La difficulté provient donc, en grande partie, de la grande visibilité de la reconstitution d’une incisive centrale. En effet, on pourra la comparer directement avec la dent qui la jouxte par l’intermédiaire de :

– l’alignement des collets et des papilles,

– la symétrie,

– la teinte et l’état de surface.

 

Le tabac, un élément primordial

Il faut relever un facteur de risque important, le tabac, qui augmente de manière significative le risque d’échec du traitement. Précisons que le maxillaire est plus affecté que la mandibule. La signature par le praticien d’une décharge de sa responsabilité quant à un éventuel échec du traitement dû au tabagisme du patient n’est pas recevable en justice. Cette « décharge » peut, au contraire, constituer un facteur aggravant.

Les exigences de l’examen clinique

 

Il convient d’écouter le patient. Tous les patients n’ont pas le

même degré d’exigence esthétique (DEE). En fonction du DEE, l’orientation du traitement pourra varier.

Il faut observer le patient. Certains éléments sont importants car ils déterminent des degrés de difficultés du traitement à venir :

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• la ligne du sourire (les cas de sourires gingivaux sont les plus complexes) ( photo 1 ) ;

• le morphotype gingival (qualité et épaisseur) (photos 2 et 3 ) ;

• l’environnement de l’incisive restante (évaluation de la nécessité d’un traitement orthodontique).

 

Que faire lorsque l’incisive est présente ?

Plusieurs situations peuvent être envisagées :

L’extraction. On distingue plusieurs cas :

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• l’incisive est fracturée longitudinalement : l’extraction est urgente ;

• l’incisive est en place : on peut réaliser une égression active accompagnée d’une surcorrection. L’extraction sera ensuite réalisée ;

• il ne reste qu’un apex : une tranchée incomplète peut être réalisée dans laquelle un instrument est inséré afin d’extraire l’apex en rotation ;

Dans tous les cas, il convient de respecter absolument la table externe et de ne pas détériore

r l’os restant.

Le comblement. La littérature est plutôt en faveur du comblement. Dans ce cas, il s’agit

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d’évaluer la perte de volume osseux dans les sens verticaux et

horizontaux. La technique la plus utilisée est celle impliquant le bio-os avec recouvrement de collagène. Toutefois, le comblement osseux ne résout pas tout. Par ailleurs, c’est une décision qui doit être prise le jour de l’extraction et qui entraîne un surcoût pour le patient.

La temporisation. Elle se fait au moyen d’une prothèse amovible ou collée. Cette prothèse pénètre de 2-3 mm dansles alvéoles afin d’en conserver l’anatomie.

 

Que faire lorsque l’incisive est absente ?

 

De la même manière, si l’incisive est absente, il conviendra d’évaluer le vo­lume osseux dans le sens

:

• horizontal ;

• vertical ;

• mésio-distal.

Cette étude permettra de déterminer la nécessité ou non d’un comblement, d’une greffe de tissus mous et d’un éventuel traitement orthodontique préopératoire. Dans les deux situations (incisive présente/absente), l’étude du cas aboutit à la réalisation d’un projet prothétique.

 

L’imagerie complémentaire : scanner et cone beam

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Le scanner « sec » permet d’objectiver le volume osseux et les obstacles anatomiques. Le scanner réalisé avec le guide d’imagerie en place permet de réaliser une planification en trois dimensions du projet prothétique. Le praticien peut ainsi s’assurer de la concordance du projet avec la situation réelle et notamment de décider de l’opportunité de réaliser une greffe. Au niveau antérieur, on privilégie la greffe autogène. Les deux sites principaux de prélèvement sont le menton et la région latéromandibulaire. Pendant la greffe, une attention particulière est accordée au maintien et à la création de vo­lume papillaire.

 

Poser les implants

Plusieurs techniques peuvent être utilisées par le praticien :

• la technique mettant en œuvre un guide chirurgical (dérivé du guide scanner) ;

• la technique « à main levée ».

Un certain nombre de critères doivent être respectés :

• dans le sens mésio-distal, il faut conserver une distance de 1,5 mm à 2 mm par rapport aux dents adjacentes ;

• pour une incisive, on se décale très lé­gèrement en distal ;

• dans le sens vestibulo-palatin, une table externe de 2 mm doit être maintenue en vestibulaire, dans la mesure du possible ;

• dans le sens vertical, en fonction du diamètre de l’implant, on essaie d’être 1 mm plus apical que le niveau osseux de la dent controlatérale ;

• L’axe de forage doit respecter le canal palatin et les dents adjacentes.

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Renforcer le parodonte

Après la pose de l’implant, il est souvent nécessaire d’améliorer le morphotype gingival. De nombreuses techniques ont été utilisées par le passé ( photo 4 et 5 ). Aujourd’hui, la technique du « double Y » est privilégiée. Pour cela, une incision est réalisée afin de créer des demi-papilles vestibulaires et palatines (Misch). Puis un greffon conjonctif épais est préle­vé en zone rétromolaire et une forme de Y lui est donnée. Il est enfoui dans un lambeau enveloppe vestibulaire (Raetzke). Cette technique permet de réaliser un épaississement vestibulaire et une augmentation de volume des papilles. La crête est ainsi rendue convexe. Le pronostic à long terme est nettement amélioré. Les clefs de la réussite à long terme sont l’épaisseur de l’os de la table externe et du conjonctif.

 

Empreinte et prothèse provisoire

La prothèse provisoire constitue un impératif dans le secteur antérieur. Le profil d’émergence est géré de manière progressive tant sur la dent naturelle controlatérale que sur la dent provisoire. Des apports de résine et de composite sur la dent naturelle controlatérale permettent d’obtenir un profil optimal et une symétrie maximale.

 

Réouverture

La mise en place du pilier définitif se fait le plus tôt possible pour ne pas détruire la néo-attache (Abrahamson).

 

Prothèses définitives

À trois, quatre mois, on peut commencer à réaliser les prothèses définitives. L’empreinte au niveau juxtagingival des piliers se fait :

• sans douleur ;

• sans traumatisme des tissus mous ;

• sans rupture de l’attache.

Il faut être vigilant quant à :

• la teinte ;

• la symétrie ;

• l’apicalisation éventuelle du parodonte marginal (0,6 mm à 1 mm la première année) ;

• la croissance alvéolaire continue qui dégrade le résultat esthétique à long terme (les dents naturelles continuent à bouger, mais pas les implants).

Au total, le praticien doit garder à l’esprit que certains éléments s’avèrent particulièrement déterminants dans le remplacement d’une incisive centrale par un implant :

• l’épaisseur osseuse de la table externe ;

• l’épaisseur du conjonctif vestibulaire ;

• le respect de la néo-attache.

 

 

 

Incisive centrale : un cas d’école

par Patrick Exbrayat

 

Le cas clinique présenté par le conférencier porte sur le remplacement d’une incisive centrale par une prothèse sur implant. Le patient présente un traumatisme sur la 11, laquelle a été expulsée. Le terrain parodontal est faible. Le patient est fumeur. Le scanner montre que la position des racines naturelles est très externe sur la table osseuse. Cette situation rend le traitement d’autant plus compliqué. Il existe d’emblée une distorsion entre la position idéale de la dent et l’axe du futur implant. L’implant devra donc être placé en position beaucoup plus palatine. Afin de pallier cet inconvénient, la solution choisie par le praticien est la suivante : au moment de l’enfouissement de l’implant, l’os de forage est récupéré, puis replacé en vestibulaire. Le praticien réalisera un conjonctif enfoui et des sutures.

Mais, au moment de la confection de la prothèse définitive, un autre problème se pose. La base de l’implant fait un cercle de 3,5 mm. La largeur finale de l’incisive est de 8 mm à 9 mm et c’est une dent plutôt triangulaire. Il existe donc une différence importante. Pour ce cas, il a été demandé au laboratoire de réaliser une prothèse sans que la forme de la gencive soit prise en compte. Puis, au moment de la pose, on relève un lambeau. Cette technique diffère donc de celle qui consiste à adapter, de manière progressive, la prothèse par des apports lors du provisoire.

Le pilier définitif peut être en titane ou en alliage précieux. Le titane ne se travaille que par réduction. On travaille directement dans la masse du matériau. Si l’on utilise un métal précieux, on peut rajouter du matériau par surcoulée. Le problème dans la zone antérieure n’est pas le manque de place. Au contraire, on a un excès de place. Donc, il n’est pas indispensable de réaliser une prothèse tout céramique. Quand le faux moignon est validé, le praticien s’attaque à l’armature. Si le pilier est en titane, il peut placer le matériau de son choix en superstructure. S’il est confectionné dans un autre matériau, il faut opter pour une superstructure dans le même alliage que le faux moignon. L’armature est réalisée puis validée. Le jour de la pose, le lambeau est ouvert et la couronne céramique installée. Cette technique permet de contrôler le joint de ciment entre le faux moignon et la couronne.