Greffe conjonctive par tunnélisation

Greffe conjonctive par tunnélisation

 

L’intervention chirurgicale de Sofia Aroca

 

C’est désormais à Sofi a Aroca d’intervenir. Les commentaires sont assurés par Jacques Malet qui, après avoir essuyé un flot de questions concernant son intervention, reste à la tribune. Le cas à traiter est constitué de récessions multiples de classe I et II de Miller concernant le secteur 14 à 16. L’objectif est d’améliorer l’esthétique du sourire gingival. Au vu de fissures de Stillman, une modification de la technique de brossage a été instaurée. L’indication a été posée d’une intervention dite du « tunnel avancé coronairement modifié (TACM) », laquelle vise à recouvrir les récessions gingivales par apicalisation de la ligne mucogingivale et épaississement du parodonte au moyen d’une greffe de conjonctif.

Au cours d’une étape préopératoire, les points de contact interproximaux ont 

été fermés au Super Bond afin d’assurer un point d’appui aux sutures suspendues qui stabiliserons coronairement le lambeau. Afin d’éliminer facilement le Super Bond, 15 jours après l’intervention, l’émail n’a pas été préparé à l’acide orthophosphorique. Un surfaçage radiculaire minutieux a été entrepris.

Sofia Aroca aborde le site opératoire directement avec un instrument de tunnélisation à partir des faces vestibulaires, en respectant les papilles. Elle commente elle-même son geste.

« J’effectue un décollement vertical en épaisseur totale. Je veille à préserver les papilles. »

Le geste est lent mais précis, l’avancée très progressive.

« Les tissus sont très fi ns, mais heureusement bien adhérents car ils sont sains. Dans ce genre de récessions, des balcons osseux se forment. La nécessité de rester au contact osseux pour être sûr de décoller en épaisseur totale rend cette étape délicate. »

Photo 3. 14 h 19 : Pénétration pour tunnélisation en épaisseur totale en préservant les papilles par décollement vertical, toujours en contact avec l’os.

Jacques Malet tire profit d’un silence pour interroger la consoeur :

« Jusqu’où vas-tu décoller ?

– Bonne question ! répond-elle. Il faut aller au-delà de la ligne muco-gingivale afi n d’avoir une bonne mobilité du lambeau. Je passe doucement les balcons osseux. Notez que la mobilité du lambeau est faible car les papilles ne sont pas décollées. »

Désormais, Sofia Aroca étend latéralement le décollement en direction des papilles afin de relier les zones préalablement décollées verticalement. Elle alterne instrument droit et instrument coudé.

« Voyez : nous n’avons toujours pas une mobilité suffisante du lambeau. Je vais donc dilacérer la zone périostée à la curette de Gracey en essayant d’éviter le piège des balcons osseux. »

La salle retient son souffle durant cette étape longue et fastidieuse. L’instrument transparaît au travers de la gencive tant elle est fine.

« Quelle mesure de mobilité du lambeau te sera nécessaire ?

– Il faut que je puisse le positionner de façon passive au moins 1 mm au-delà de la jonction amélo-cémentaire, comme ceci, commente-t-elle en joignant le geste à la parole. En vérifiant la tunnélisation complète du lambeau avec la sonde parodontale, je mémorise la morphologie des balcons osseux. »

À présent, Sofia Aroca passe au prélèvement du greffon de conjonctif, qu’elle décrit pour la salle.

« Je vais utiliser la même technique de prélèvement que celle que Jacques vous a montrée tout à l’heure, mais mon prélèvement sera plus long et moins large. »

La lame 15 C commence son incision en distal de 16 et vient s’arrêter en mésial de 14.

Échanges avec Jacques Malet :

« Tu es dans la zone de confort et le palais semble assez épais, lui dit-il.

Dans un sourire, elle répond :

– Non, c’est trompeur : la muqueuse est mince ! avant d’ajouter à l’attention de son assistante. – Aspire. Voilà ! Aspire plus à l’intérieur. Aspire : il faut pouvoir observer et le geste est délicat ! »

Enfin, le greffon est prélevé et préparé.


 

Un greffon difficile à mettre en place

 

Sofia Aroca entreprend alors de suturer le site de prélèvement à l’aide d’un fil 5.0 selon la technique décrite par Alain Borghetti. Un petit noeud empêche le blocage d’un point ; Sofia Aroca tente de le dénouer… en vain. Elle n’insiste pas, coupe le fil et explique : « Je vais reprendre. C’est plus facile. » Un peu plus loin, l’aiguille ressort dans le sulcus, et c’est au tour de Jacques Malet de donner des explications : « Sofia a retiré l’aiguille pour repasser à distance du sulcus afin d’éviter de le traumatiser. Il y a peu de saignement… Tu as fait un rappel d’anesthésie ?

– Non ! Vous voyez que la vasoconstriction peut durer longtemps !

– Sofia fait des noeuds à plat pour bloquer les points sans avoir à les maintenir au serrage. » Elle passe ensuite à la phase finale de son intervention de mise en place du greffon. Elle l’essaie sur le site vestibulaire, vérifie et adapte son anatomie aux ciseaux. Vient alors l’étape cruciale de sa mise en place.

« J’utilise pour cela un Vicryl 6.0 non résorbable qui est moins rigide que le monofilament. »

L’aiguille pénètre dans la papille qui limite antérieurement le décollement, avant de ressortir en distal de 13 dans la zone décollée. Elle passe ensuite librement les deux tunnels successifs pour ressortir en mésial de 16. Elle fixe alors le greffon grâce à deux points mésiaux pour ensuite retourner dans le tunnel en sens inverse et venir ressortir de la papille 1 mm au-dessus de son point d’entrée. Sofia Aroca commence de tracter le greffon de distal en mésial en tirant sur les deux chefs mais, aléa du direct, il s’immobilise. Elle essaye de s’aider avec une sonde parodontale mais, une fois encore, elle refuse de forcer. « Ça bloque quelque part, constate-t-elle seulement en ressortant greffon et fil. J’ai dû accrocher les tissus sur leur versant interne au niveau d’un balcon. Ce qui arrive, mais pas souvent. Sauf en direct ! » commente-t-elle dans un calme imperturbable tout en recommençant avec un nouveau fil auquel elle fait suivre le même chemin. À l’écran « l’aiguille grand format » repasse exactement aux mêmes endroits que lors du premier passage. Du grand art. On en vient à trouver cette chirurgie aérienne presque ludique lors de ce « replay » involontaire.


L’élégance du geste

 

Le greffon est enfin positionné. Il est fixé par la suture des deux chefs à la papille en mésial et par une suture indirecte en distal. Il est en place puisqu’il recouvre la jonction amélo-cémentaire. Seul le lambeau est pris dans les sutures de matelassier verticales que Sofia Aroca commence entre 14 et 15, puis entre 15 et 16, et qu’elle vient suspendre ensuite en passant au-dessus des points de contact interproximaux. Le silence dans la salle est quasi religieux et le public béat d’admiration devant l’élégance du geste.

Une légère compression du site opératoire avec une compresse humide pour adapter le greffon aux surfaces radiculaires conclut cette intervention unanimement applaudie par une salle conquise. Pour preuve : les questions de la salle ne porteront que sur les suites opératoires et l’absence de saignement.

Réponses : la prémédication pour la première, et l’anesthésie au trou palatin postérieur pour la seconde.

 

 


 

Légendes des 12 photographies :


1. 14 h 05 : Diapos préopératoires.

 

2. 14 h 06 : Fermeture des points de contact.

 

3. 14 h 19 : Pénétration pour tunnélisation en épaisseur totale en préservant les papilles par décollement vertical, toujours en contact avec l’os.

 

4. 14h22 : Mobilisation des papilles jusqu’à l’obtention d’une mobilisation totale du lambeau jusqu’à 1 mm de la jonction émail-cément.

 

5. 14 h 36 : Le tracé d’incision unique pour prélèvement du lambeau.

 

6. 14 h 40 : Décollement du greffon.

 

7. 14 h 49 : Sutures à distance du tracé d’incision.

 

8. 14 h 53 : Essayage de greffon (partie épaisse sur la récession la plus importante).

 

9. 14 h 55 : Blocage du greffon sous la papille la plus antérieure avec passage du fil sous chaque papille.

 

10. 15 h 10 : Passage du greffon à l’intérieur du « tunnel » en « tirant » le fil et en « poussant » le greffon alternativement, puis fixation antérieure et postérieure.

 

11. 15 h 16 : Blocage des sutures au niveau des ponts de résine interdentaires réalisés au-dessus des points de contact.

 

12. 15 h 18 : Vue finale.