Apolline

Marc Roché (président de la SOP)

Publié le lundi 02 mai 2022

Le numérique est un outil qui fonctionne comme un pharmakon : tout à la fois remède et poison.
Marc Roché

Apolline me téléphone de son Aveyron natal. Elle s’interroge sur son avenir. Étudiante de cinquième année dans une faculté de province, elle hésite. Quel mode d’exercice ? Tentée par une thèse d’anthropologie, elle a à terme l’objectif de s’installer dans sa région.

Mais, s’interroge-t-elle, avec « les petits cabinets » de son département, pourra-t-elle satisfaire son goût pour l’endodontie telle qu’elle l’a pratiquée sous microscope pendant ses études ?

Et puis la prothèse l’attire, avec la caméra numérique et l’usineuse que sa faculté a mises à la disposition des étudiants pour les former « à une dentisterie moderne ». Apolline considère avoir eu beaucoup de chance en bénéficiant de cet équipement. Une chance, certes, qui réside peut être plus dans le tropisme qu‘elle a pour les sciences humaines que pour les enseignements que le numérique est susceptible d’apporter.

Les sciences humaines lui permettront assurément de déterminer la part d’homo faber, d’homo œconomicus, d’homo ludens et d’homo sapiens sapiens, qu’elle introduira dans son mode d’exercice pour donner des soins à des homo technicus-consumericus ou des homo dolens.

Car, répétons-le, le numérique n’est qu’un outil. Mais un outil qui fonctionne comme un pharmakon : tout à la fois remède et poison selon le dosage prescrit. Par définition, tout outil est un moyen d’atteindre des fins. Et si les fins peuvent justifier les moyens, jamais l’inverse n’est vrai. Les moyens ne justifient pas les fins.

Ainsi, Apolline devait réaliser dans l’année une couronne avec les outils numériques et une seconde, pédagogie oblige, selon les techniques conventionnelles. Mais pour aller plus vite, son assistant l’a incitée à faire l’une et l’autre en numérique.

Si, dès la faculté, on dévie des objectifs initiaux – d’enseignement –, qu’adviendra-t-il des indications lorsque la pression de la charge financière que représente ces équipements commencera de peser sur les décisions thérapeutiques d’une jeune praticienne ? Il est bon que le numérique soit entré dans les facultés. Espérons toutefois que, de ce pharmakon, ne soit utilisé que le remède et qu’il ne soit pas un poison inoculé à l’âge où l’on vaccine.

 

Marc Roché,
Président de la SOP
 

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