Le prix de la dérégulation

Marc Roché (président de la SOP)

Publié le mardi 22 mars 2022

Dans le procès de Marseille ou dans celui de certains centres dentaires, les mêmes chefs d’accusation d’escroquerie et de mutilation...
Marc Roché

Notre profession est à nouveau sous le feu des projecteurs de l’actualité depuis le 28 février dernier avec l’ouverture d’un procès « hors norme ».

Sont engagés pour six semaines de débats 322 patients parties civiles ainsi que l’assurance maladie, cinq sociétés d’assurance et l’Ordre des chirurgiens-dentistes. Certes, ce procès est celui de l’exercice sauvage d’un chirurgien-dentiste, et il n’a de rapports que lointains avec l’opacité de l’exercice « salarié » au sein de l’une de ces nombreuses chaînes de centres dentaires calquées sur le modèle économique Dentexia.

Cependant, on trouve dans les deux cas les mêmes chefs d’accusation : « escroquerie à l’assurance maladie » et « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente » sur les mêmes patients modestes qui souvent bénéficiaient de la CMU.

De telles similitudes ne peuvent être dues qu’à des causes structurelles, à un cadre réglementaire qui permet ce genre de « dérives ». Or il est à craindre que, malgré la durée des débats, ces causes restent occultées et que ne soit pas pointée la responsabilité des politiques de dérégulation qui ont allégé les procédures de contrôle. Elles qui permettaient à la fois de gérer l’argent public et de protéger le citoyen-patient.

Rappelons que, jusqu’en mai 2003, tout acte prothétique était soumis à une demande d’entente préalable assortie de radios, puis au contrôle dentaire en amont du traitement. Une forme de prévention des errements qui a été jugée trop coûteuse dans un contexte politique et économique où la fonction publique était considérée comme un poids fiscal qui, pesant sur les entreprises, nuisait à leur dynamisme.

C’est ainsi que nombre de dentistes-conseils n’ont pas été remplacés ou qu’ils ont été redirigés vers du contrôle a posteriori mené à partir des données de télétransmission. Lorsque l’on sait que, dans l’affaire qui est jugée à Marseille, les faits reprochés se sont produits entre 2006 et 2012 et que c’est seulement dix ans plus tard que viendra un jugement, on reste, là encore, convaincu qu’il vaut mieux prévenir que guérir, surtout qu’en cette occurrence, aucune guérison ne pourra être apportée par la justice à des patients mutilés à vie.

Quant au coût de tels procès, imaginons qu’il n’est neutre ni pour l’État ni pour les assurances. À preuve, devant la multiplication des « dérives », certaines sociétés d’assurance en sont venues à employer des « dentistes-conseils maison » et usent de lobbying pour que cette alternative se généralise. La privatisation du contrôle dentaire qui aboutirait à une hétérogénéité de traitement des dossiers n’est pas souhaitable.

Le redéploiement sur le territoire d’un corps de dentistes-conseils investis dans un accompagnement de terrain serait la meilleure défense des intérêts respectifs et de l’assurance maladie et des patients, mais aussi de la profession. Lesquels payent le prix de la dérégulation.

 

Marc Roché,
Président de la SOP
 

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