Avoir toujours raison est un grand tort *

Philippe Milcent (rédacteur en chef du JSOP)

Publié le mercredi 15 mai 2019

Au pays de Descartes, seule la raison doit nous guider, si possible !

« LE NOMBRE DE CAS SIGNALÉS DE ROUGEOLE A AUGMENTÉ DE 50 % DANS LE MONDE », alertait récemment l’OMS.
Dans de nombreux pays, l’accès au vaccin, très efficace et sans danger, n’est pas possible pour des raisons économiques ou d’organisation des soins.

C’est une situation scandaleuse qui ne devrait plus exister aujourd’hui. Pour nos pays riches et industrialisés, dans lesquels la santé est globalement bien structurée et administrée, la situation n’est pas meilleure et elle est tout aussi scandaleuse.

Pourquoi cette alarme de l’OMS touche aussi nos contrées ? La faute aux fake news ou, en bon français, aux intox. On a tout entendu sur les vaccins : ils transmettent toutes les maladies du monde, ils ne servent à rien, ils sont fabriqués par des laboratoires de mèche avec les pouvoirs publics, etc. On en passe et des meilleures.

Or, des études (1) ont montré que s’opposer à ces assertions par des arguments rationnels a l’effet exactement inverse à celui recherché : si vous les énoncez, cela prouve que vous aussi, vous faites partie du complot !

Cette « déchéance de rationalité » (2) est désespérante. Nous avons tous eu dans nos cabinets des patients qui nous exposent des théories abracadabrantesques.

ALORS, QUE FAIRE ?

Reprendre patiemment un à un les biais et, par analogie, expliquer pourquoi on pense parfois faux (3).

Le biais de confirmation nous fait chercher les preuves de ce que nous voulons croire. Il occulte celles qui ne nous arrangent pas. L’effet Internet, les algorithmes et l’enfermement dans des « groupes de croyance » renforcent ce phénomène.

Mais pour autant, chacun de nous a besoin d’une dose de rêve, d’imaginaire, d’irrationnel.

L’imaginaire trouve sa voie par exemple en hypnose, lorsque l’on va vers l’état de transe hypnotique, très onirique et créative.

La création aussi a son champ d’action, et cela s’appelle l’art. Pour paraphraser un de nos grands écrivains : l’art exprime ce qui ne peut être dit et sur lequel il est impossible de rester silencieux (4).
Pour le reste, au pays de Descartes, seule la raison doit nous guider.
Si possible !

Philippe Milcent,
rédacteur en chef du JSOP

* Edgar Faure, homme politique français de la IVe puis de la Ve République

(1) GAUVRIT N., DELOUVÉE S. Des têtes bien faites. éd. PUF. 2019
(2) BRONNER G. Déchéance de rationalité. Les tribulations d’un homme de progrès dans un monde devenu fou, éd. Grasset 2019
(3) BOUTANG J., DE LARTA M. Les biais de l’esprit, éd. Odile Jacob 2019.
(4) Victor Hugo : « La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux ».