L'Empire contre-attaque

Marc Roché (président de la SOP)

Publié le lundi 15 juin 2015

« Après un temps d'incrédulité on comprend la logique paradoxale, pour ne pas dire schizophrénique, dans laquelle on veut nous faire évoluer désormais. »
Marc Roché

LE 4 AOÛT 2008, la loi de modernisation de l’économie créait l’Autorité de la concurrence et indiquait, déjà, la voie de la modernité dans laquelle nous nous engageons à présent avec la loi de santé. Mais qu’est-ce que l’Autorité de la concurrence ? C’est, peut-on lire sur son site Internet, une « Autorité administrative indépendante, spécialisée dans l’analyse et la régulation du fonctionnement de la concurrence sur les marchés, pour la sauvegarde de l’ordre public économique ». Elle est, lit-on plus loin, « au service du consommateur ». Ces mots entrent en une curieuse résonance lorsqu’on apprend que cet organisme a été saisi par la plate-forme Santéclair contre le conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (et la FSDL). 

C’est seulement après un temps d’incrédulité que l’on comprend la logique paradoxale, pour ne pas dire schizophrénique, dans laquelle on veut nous faire évoluer désormais. Une logique témoin d’une révolution copernicienne soutenue par des impératifs qui traduisent un véritable choc de cultures, voire de civilisations !

CAR DANS LES FAITS, l’Ordre est ramené à une structure inepte qui trouble un ordre supérieur dans la hiérarchie des « valeurs » de la modernité : celles du marché. Les valeurs sonnantes et trébuchantes restent aujourd’hui les seules parfaitement définies, alors que plus personne ne sait la teneur des sacro-saintes « valeurs » républicaines pourtant convoquées de tous bords. C’est ainsi, pour ce qui nous concerne, que la fonction de régulation des ordres professionnels, gardiens d’une éthique professionnelle dont tous les pouvoirs successifs ont reconnu l’utilité depuis leur création, est battue en brèche. Et qu’en revanche, une structure émanant du secteur de l’assurance se présente le plus naturellement du monde, dans le domaine de la santé, comme le défenseur des intérêts du client-consommateur, traduisant le peu de considération qu’elle a pour ce qu’est un patient.

NOUS VIVONS, à l’échelle de nos professions et pour les mêmes causes, des attaques de même nature que celles que connaissent les États nord-américains, de la part des multinationales, qui aux termes des accords ALENA (1) se sont vus traduits en justice et souvent condamnés !

Il n’y a rien d’étonnant au rapprochement entre des faits apparemment aussi éloignés, à preuve, l’étape suivante se joue ces jours-ci dans des négociations secrètes autour des accords sur le commerce des services (ACS), où « la santé est convoitée par les transnationales » (2).

Et cela à l’heure où la loi Macron, dans ses articles 19 sur les concessions et 74 sur la passation des marchés publics, transpose des directives européennes ouvrant à la marchandisation de la santé !

Aujourd’hui, l’Ordre est en première ligne et affronte les escarmouches d’un combat pour des soins de qualité qu’il ne pourra mener seul. Un choc pour une société scientifique généraliste, dont la vocation reste de transmettre une exigence d’excellence.

 

 

Marc Roché, rédacteur en chef du JSOP

 

 

(1) Accord de libre-échange nord-américain entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.

(2) « TISA : un clone de l’AGCS pour privatiser les services de santé » - www.politis.fr