Jean Meyer
Publié le lundi 08 septembre 2003
Un groupe d'experts internationaux s'est réuni à Chicago, en 1999, et a imposé au monde parodontal une nouvelle classification des maladies qui comprend, parmi d'autres dénominations, la notion de parodontite agressive (1).
Pour établir le diagnostic de parodontite agressive, il faut réunir plusieurs critères, à savoir des dépôts tartriques moins abondants que pour la parodontite chronique, des périodes rapides de perte d'attache avec de longues périodes de quiescence, une apparition chez des sujets sains et une connotation familiale. Ces quatre critères doivent être réunis. Selon la forme localisée ou généralisée, l'apparition se situe autour de la puberté ou à moins de trente ans (2).
« Mais enfin, connais-tu une pathologie qui ne soit pas agressive ? ».
C'est en ces termes, au congrès d'Europério 3, à Genève en 2001, que j'avais questionné notre ami J Lindhe.
« Mais non, bien sûr, toute pathologie est une forme d'agression. Mais c'est ainsi maintenant. Et comment va ta famille ? » La réponse à cette dernière question n'intéressera certainement pas le lecteur, mais chacun appréciera la valeur scientifique de l'argumentation.
Le même jour, A.Mombelli me déclare, à propos des mêmes interrogations :
« Mais enfin, un patient qui a une grippe, il a une grippe, que ce soit à 7 ou 77 ans. Alors pourquoi classer les formes cliniques d'une même maladie selon l'âge du patient ? »
Réponse de bon sens. Et pourtant...
Notre même ami décrit, l'année suivante, trois types de parodontites agressives (3). Une forme certaine (« secure »), une forme probable (« uncertain ») et une forme possible (« insecure »). La définition de la maladie certaine comporte, soit une perte d'attache documentée sur le plan clinique, à savoir plus de 2 mm en moins d'une année ; soit plus de 2mm avant l'âge de 18 ans ; soit une destruction rapide de l'os, radiographies réparties sur la même année; soit une perte osseuse sévère avant l'âge de 18 ans.
La parodontite agresssive probable est basée sur une perte d'attache clinique de plus de 2 mm ou sur une destruction osseuse sévère avant l'âge de 30 ans. Quant à la parodontite agressive possible, elle se caractérise par une perte d'attache avec un rythme de progression peu clair, environ 2 mm sur plus d'un an ou par une destruction osseuse avec un rythme de progression mal défini.
Il est tout de même fondamental d'admettre que se baser sur une variabilité aussi faible que 2 mm de perte d'attache est irréaliste sur le plan clinique. Parce que cette limite met en cause le protocole même du sondage, et que, si des méthodologies de mesures reproductibles et comparatives ont été élaborées dans des cadres de recherche universitaire, le geste clinique habituel reste sujet à interprétation. Cette démarche ne serait rendue possible, en clinique, qu'en corrélant le degré d'activité, donc de progression, avec le degré d'inflammation, notion qui reste, en ce qui nous concerne, un débat de fond. De plus, ce sondage, pour être fiable et significatif, ne doit être réalisé qu'après réduction de l'inflammation initiale, c'est-à-dire, en fait, après une amorce de traitement (4). Enfin, préciser que la période de repos est longue relève du domaine purement spéculatif puisque nous sommes dans l'incapacité de situer, dans le temps, le début de la pathologie. A moins d'effectuer un dépistage précoce et de laisser évoluer la maladie pendant un an pour en apprécier le rythme d'évolution!
La recommandation d'abandonner la notion d'âge, si décriée en raison des incertitudes et des difficultés existantes pour en fixer les limites, semble légitime. Mais cette notion d'âge reste cependant présente (3, 7) pour la simple raison que, s'il s'agit de la même maladie, une parodontite diagnostiquée à 18 ans possède une toute autre signification qu'une parodontite chez un sujet de 60 ans. Car si le patient se situe entre 18 et 30 ans, le début précoce ou l'évolution rapide peuvent être raisonnablement envisagés, sans prendre ces chiffres à la lettre. Et sans perdre de vue que des épisodes d'évolutions rapides peuvent toucher toutes les formes de parodontites (5-8).
Indépendamment du débat sémantique que pourrait ouvrir la terminologie subtile entre probable et possible , il n'est pas étonnant que bon nombre d'auteurs reconnaissent que le terme d'agressif n'a été, jusqu'en 2002 c'est- à- dire trois ans après la classification initiale, que peu employé dans les publications (3). Il est vrai que dans les descriptions nosologiques, la terminologie d'« agressif » n'est pas utilisée La pneumopathie internationale qui sévit actuellement a été qualifiée, avec sagesse et discernement, d'atypique ou de syndrome respiratoire aigu. A notre connaissance, il n'a pas été décrit des cas d'hépatite ou de leucémie agressives, même s'il existe des formes particulièrement redoutables.
L'omnipraticien verra sans doute, dans ce délit d'initié, un débat purement théorique sans intérêt clinique réel. Argument parfaitement recevable, mais ce serait marginaliser l'objectif qui doit rester, pour notre part, à finalité essentiellement thérapeutique.
En effet, si cette dénomination de parodontite agressive aboutissait à une thérapeutique spécifique, la démarche deviendrait justifiée. Mais proposer, entre autres, une prescription antibiotique, avec ou sans antibiogramme, est d'une éprouvante banalité (3). Chacun sait que les études épidémiologiques n'ont pas mis en évidence, à ce jour, une corrélation constante entre les différents paramètres bactériologiques du diagnostic des parodontites et que, bien évidemment, aucune recherche n'a montré une individualité bactérienne spécifique d'une parodontite agressive.
Ainsi donc, cette dernière classification, qui n'est plus nouvelle maintenant, est particulièrement contestable. Dans cette optique, le bon sens des cliniciens, dans son appellation noble, aura évidemment souligné que la notion de parodontite agressive ne représente que la transformation sémantique des parodontites à début précoce. Il en est de même pour la parodontite de l'adulte, modifiée en parodontite chronique, et dont la définition est une identité clinique suffisamment différente de la parodontite agressive, à savoir une perte d'attache ou osseuse modérément progressive (6) qui affecte la population adulte (7).
A partir des éléments exposés dans cette argumentation, la logique de ces modifications est difficilement compréhensible. « Cette obscure clarté... » comme dirait le poète.
Alors, appliquer une certaine classification parce qu'elle a été établie par un groupe d'experts n'interdit pas de penser. L'histoire abonde de dissidents incompris, chacun d'eux étant persuadé que sa cause était la meilleure du monde et dont beaucoup se sont brûlé les ailes au risque de perdre leur auréole.
Et nous n'avons pas à accepter un Yalta de la parodontologie sans que des arguments valables aient été établis, au risque également de devenir des conquérants de l'inutile ou des virtuoses de l'éphémère.
La justification d'une classification, qui est aussi un moyen de communication, est basée sur le principe d'inclure et d'étudier pour un même type de patients ou de pathologies, les formes cliniques, les recherches étiologiques, les effets de tel traitement et les données épidémiologiques. Une classification ne peut être le siège d'interprétations quant aux diagnostics posés. Dans le cas présent et compte tenu de l'extrême hétérogénéité des paramètres mentionnés dans la littérature, il existe une réelle difficulté.
La dernière proposition (8) suggère de réunir dans un même diagnostic l'extension de la maladie, sa sévérité, ses bases cliniques et l'âge du patient. Nous nous orientons,, avec ces données, sur une voie plus réaliste. Mais selon la formule consacrée des données acquises de la science, il faut bien admettre que nous sommes dans l'incapacité actuelle de classer valablement ces maladies parodontales. Quel que soit notre désarroi devant cette situation, il reste une question essentielle: est-il indispensable de vouloir absolument classer ces maladies dans des structures aussi rigides, et de toutes façons discutables, pour aboutir à une efficacité thérapeutique?
Car s'il existe une certitude, c'est bien celle de poser le diagnostic de parodontite. A partir de cette donnée irréfutable, est-il déraisonnable de rassembler simplement les caractéristiques individuelles du cas à traiter, quels que soient les examens effectués ?
Le reste est littérature. G.B. Shaw pensait que la jeunesse était une chose merveilleuse mais qu'il était dommage qu'elle soit confiée à des enfants. Gardons pour la parodontologie l'émerveillement de nos premières découvertes, l'impulsion juvénile de l'enthousiasme et l'indépendance mature de la réflexion.
REMARQUE
Les jurés concernés pourront se procurer aisément les pièces à convictions suivantes :
1. Armitage, G.C; Development of a classification system for periodontal diseases and conditions. Annals of Periodontology. 1999 4,1-6.
2. Lindhe,J. Compte-rendu du cours de la Société française de parodontologie et d'implantologie orale. Deauville. 2002.
3. Mombelli A, Casagni F, Madianos P.N: Can presence of periodontal pathogens distinguish between subjects with chronic and aggressive periodontitis? A systematic review. Journal of Clinical Periodontology. 2002. 29 (Suppl 3), 10-21.
4. Dridi,S.M., Lallam-Laroye C, Viargues P, Meyer J. Les réévaluations et l'orientation thérapeutique en parodontie. Rev.Odont.Stomat. 2002. 31, 193-210.
5. Meyer J, Lemaître P, Roch-Arveiller M. La parodontite à progression rapide: une terminologie non spécifique. Journal de parodontologie et d'implantologie orale. 1999. 18, 9-16.
6. Lang N, Barthold P.M., Cullinan M., Jeffcoat M., Mombelli A., Murakami S., Page R., Papapanou P., Tonetti M., Van Dyke T. Consensus Report: Agressive periodontitis. Annals of Periodontology. 1999. 4, 53.
7. Heitz-Mayfield L.J;A., Trombelli L., Heitz F., Needleman I., Moles D. A systematic review of the effect of surgical debridement vs. non-surgical debridement for the treatment of chronic periodontitis. Journal of Clinical Periodonto-logy. 2002. 29 (Suppl.3) ,92-102.
8. Van der Velden U. Diagnosis of Periodontitis. Journal of Clinical Periodontology. 2000. 27,960-961.