Le tabagisme : quelles implications sur la cavité buccale et les traitements bucco-dentaires ?

Le tabagisme : quelles implications sur la cavité buccale et les traitements bucco-dentaires ?

Fiche pratique

 

En raison de ses conséquences néfastes sur les muqueuses buccales et sur nos traitements dentaires, l’addiction au tabac doit impérativement être prise en compte dans notre pratique.

 

Le tabac, cultivé en Amérique il y a plus de 3 000 ans, était considéré comme une plante sacrée et médicinale. Introduit en Europe vers le milieu du xvie siècle, il triompha en France, sous forme de « poudre de tabac », pour ses vertus thérapeutiques. Son appellation « herbe de la reine » vient de son utilisation par Catherine de Médicis pour traiter les fortes migraines de son fils François II. À partir du règne de Louis XIII, le « tabac médicinal » céda peu à peu le pas au « tabac plaisir ». Au cours du xxe siècle, les connaissances pharmacologiques ont démontré la dangerosité de certains constituants du tabac pour la santé.

Les effets délétères du tabac sur l’organisme sont maintenant bien connus de tous. Cependant, l’expérience montre, malheureusement, que trop de praticiens ne tiennent pas toujours compte de cette addiction et de ses conséquences sur la sphère buccale ainsi que sur les traitements qu’ils engagent.

Le tabagisme a pour conséquences des effets systémiques, des conséquences buccales et des répercussions sur nos thérapeutiques. La présence de goudrons, de monoxyde de carbone, de substances irritantes et de nicotine explique les effets néfastes du tabac.


Conséquences systémiques

1. 27 % des cancers sont dus au tabac : poumons, voies aéro-digestives supérieures, vessie, estomac, foie, reins… En effet, la fumée du tabac contient de puissants agents mutagènes (benzopyrène, nitrosamines, acroléine…) ainsi que des substances irritantes (phénol, acétone…), qui peuvent induire une inflammation chronique, elle-même à l’origine de possibles mutations génétiques.

2. À hauteur de 35 %, le tabac est la première cause de mortalité en cardiologie. Par son action thrombogène majeure, le tabac augmente fortement l’athérogenèse et l’athé­rosclérose. Les effets cliniques se traduisent par des sténoses (artériopathies…), des thromboses (infarctus, phlébites, embolies…), des accidents vasculaires cérébraux…

3. Si tous les fumeurs ne décèdent pas des conséquences de leur addiction, ils présenteront tous, un jour, une broncho-pneumopathie chronique. Il convient d’ajouter que 75 % des pneumothorax spontanés primitifs sont associés au tabagisme.


Conséquences sur les muqueuses buccales

Le tabac induit des lésions des muqueuses buccales dont les principales sont les kératoses tabagiques. Ces lésions présentent un risque élevé de transformation maligne. Le tabac, sous toutes ses formes, est en effet responsable, à hauteur d’au moins 80 %, des carcinomes épidermoïdes.

Une kératose est une lésion blanche non détachable au grattage. C’est une affection chronique des muqueuses qui est caractérisée par la transformation cornée de la partie superficielle de l’épithélium. La muqueuse perd alors sa translucidité, de­vient plus ou moins opaque et apparaît blanche ou opaline.

Plusieurs formes cliniques se rencontrent :

kératose homogène sous forme de macule ou plage, papule ou plaque, parfois légèrement parquetée, tantôt souple ou discrètement cartonnée. Elle est toujours indolore. Elle régresse la plupart du temps si le sujet cesse de fumer, en général en quelques semaines, voire quelques mois. Les dysplasies sont peu fréquentes et, dans ce cas, souvent de bas grade et réversibles à l’arrêt du tabac. Mais tel n’est pas toujours le cas et la vigilance doit être de mise  ;

kératose verruqueuse et parfois franchement exophytique. Cette forme a un potentiel précancéreux plus important que la forme précédente ;

kératose inhomogène qui montre une irrégularité du relief, avec des zones érosives et kératosiques, dans un contexte plus ou moins inflammatoire. Ce type de lésion présente un risque élevé de transformation maligne  ;

kératose tabagique d’origine thermique. En plus de l’action délétère du tabac, s’ajoute l’action néfaste de la chaleur de la fumée. On ob­serve souvent un voile opalin avec parfois quelques zones un peu plus kératinisées. Ces lésions concernent surtout les joues et le palais : c’est la stomatite nicotinique. Celle-ci présente un très faible potentiel précancéreux, mais oblige à une surveillance clinique trois fois par an (surtout si l’arrêt du tabac n’est pas obtenu).


Conséquences sur nos traitements

1. En parodontie

Les maladies parodontales sont d’origines plurifactorielles avec, comme facteur dominant, la plaque bactérienne dentaire. Si le tabac n’explique sans doute pas à lui seul l’émergence d’une parodontopathie, il en est certainement un facteur important et, de toute façon, aggravant. Il est aussi sans doute responsable de certains échecs thérapeutiques.

Cliniquement, les lésions osseuses sont plus prononcées et les poches plus profondes lors de l’intoxication tabagique. Il est également noté des saignements gingivaux moins conséquents que chez un non-fumeur. Ces faits cliniques sont liés à la diminution du nombre des capillaires et à l’effet vasoconstricteur de la nicotine. Il en résulte une insuffisance circulatoire et une réduction des signes inflammatoires. Ces faits cliniques sont également liés à l’hypoxie cellulaire due à la présence de monoxyde de carbone proportionnelle à l’imprégnation tabagique et à une altération du système immunitaire.

Mais, encore une fois, le tabac n’explique pas tout, et d’autres facteurs de risque peuvent se surajouter au tableau : alcool, diabète, stress…

2. En chirurgie

Pour les raisons évoquées plus haut, la cicatrisation est altérée, et notamment retardée, chez le fumeur.

Les complications postopératoires (toutes chirurgies confondues) sont d’ailleurs de 12 % chez un fumeur pour 2 % chez un non-fumeur.

Il est donc recommandé d’arrêter de fumer six à huit semaines avant toute chirurgie, quelle qu’elle soit.

3. En chirurgie implantaire

S’il existe un sujet controversé, c’est bien celui de la relation implants-tabac. Si la majorité des études montre un effet néfaste du tabac fumé sur l’intégration osseuse, certaines d’entre elles ne présentent aucune conclusion significative entre un patient fumeur ou non-fumeur. Il convient donc de ne pas être trop dogmatique. Tout dépend de la quantité de tabac consommé.


Notions de sevrage

On ne peut envisager un sevrage efficace sans prendre conscience de sa difficulté face à l’importance de la dépendance tabagique. Il faut concevoir le tabagisme comme une « maladie » chronique qui évolue par rechutes et devant laquelle nous sommes tous inégaux (polymorphisme génétique et métabolique). Il s’agit d’une véritable compulsion, c’est-à-dire une pulsion irrésistible à accomplir un acte contre sa raison.

Cette notion capitale est mieux perçue par un praticien ancien fumeur ou encore fumeur. Celui qui n’a jamais connu le tabac est certainement mal placé pour comprendre le fumeur, et sa perception du problème est trop souvent manichéenne. Le praticien non fumeur tombe en effet souvent dans le piège de l’incompréhension, du jugement et de la culpabilisation du fumeur – ce qui est la dernière des choses à faire si l’on veut entreprendre un sevrage dans les meilleures conditions possibles.

Voyons, schématiquement, quels sont les acteurs de la dépendance. La fumée du tabac est composée de milliers de substances dont la nicotine présente, sans doute, le pouvoir addictif le plus important. Elle libère des monoamines : la noradrénaline (action positive sur l’éveil et l’humeur), la sérotonine (qui limite l’appétit et stimule l’humeur) et surtout la dopamine (le neuromédiateur du plaisir). La nicotine a également une action sur l’axe hypothalamus-hypophyse-surrénales en agissant sur le circuit des endorphines et sur le cortisol. On peut parler d’action hédonique puissante de la nicotine.

Mais ce n’est pas la seule substance qui explique la dépendance. En effet, le tabac contient également de l’harmane, de la norharmane et de l’acétaldéhyde qui ont une action inhibitrice sur la monoamine-oxydase. Cela attribue au tabac une action anxiolytique, voire un effet antidépresseur.

Pour réaliser un sevrage tabagique, plusieurs médications sont utilisées :

dispositifs transdermiques (timbres) dosés à 7, 14 et 21 mg de nicotine par 24 h ;

- gommes à mâcher ou pastilles à sucer dosées à 2 ou 4 mg et des mé­dications systémiques dont la varénicline est la molécule la plus intéressante.

D’autres thérapeutiques complémentaires sont parfois utiles : anxiolytiques, voire antidépresseurs, psychothérapie, acupuncture, mé­sothérapie… Mener un sevrage tabagique à son terme est un combat aussi long que difficile.

En médecine bucco-dentaire, il est utile et conseillé de motiver un patient à suspendre sa consommation de tabac durant le temps, par exemple, d’une ostéo-intégration osseuse, d’un traitement parodontal…

Dans cette perspective, l’utilisation de timbres associés aux gommes ou pastilles à sucer est à préférer aux médications systémiques qui sont de maniement plus délicat. L’important est de ne pas sous-doser en apports nicotiniques, source de la plupart des échecs. À titre indicatif, il faut un timbre de 21 mg de nicotine/24 h dès 15 à 20 cigarettes fumées par jour, en ajoutant gommes ou pastilles si besoin. Il ne faut pas hésiter à surdoser car la nicotine, a contrario du tabac, n’entraîne aucune pathologie.

En cas de refus, le tabac augmentant le risque d’échec (avec la perte financière que cela peut impliquer), nous devons refuser nos soins ; notre responsabilité serait alors engagée.


CONCLUSION

La non-considération du risque tabagique engage la responsabilité du praticien concernant la gestion de certains de ses traitements bucco-dentaires (cf. article du JSOP n° 5, mai 2009, p. 22).

De plus, l’information du patient du risque d’échec thérapeutique augmenté par le tabagisme peut être une motivation importante pour arrêter de fumer. C’est donc une opportunité que le praticien doit saisir.

Par conséquent, la prise en compte de l’addiction au tabac et la prise en charge du sevrage tabagique, doit désormais faire partie intégrante de la pratique odonto-stomatologique. Il s’agit d’un problème d’éthique mais aussi d’un enjeu de santé publique auquel nous devons, dès maintenant, répondre.


Didier Gauzeran


 


Il n’y a pas que le tabac qui nous concerne ...

 

1 - Le cannabis

Que ce soit de la marijuana ou du haschich, on considère que fumer 3 à 4 joints par jour équivaut à la consommation quotidienne d’un paquet de cigarettes .

2 - La chique de Bétel

Elle associe, entre autres, du tabac et de la noix d’arec et constitue un facteur de risque très important dans l’induction de lésions précancéreuses à haut risque de transformation maligne .

3 - Le narguilé

On estime que 30 à 50 bouffées par heure sont équivalentes, en monoxyde de carbone, à la consommation de 2 paquets de cigarettes. Cela peut entraîner des insuffisances respiratoires parfois sévères.

 



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