CHRONIQUE DE FAUTEUIL « Trou noir » par Valérie Travert

Publié le mercredi 07 décembre 2022

CHRONIQUE DE FAUTEUIL N°8

Trou noir

Les petits bonheurs, les doutes et parfois les affres d’un exercice
au quotidien en pratique généraliste vus par Valérie Travert, omnipraticienne.

Une patiente me consulte pour une dent support de bridge en très mauvaise situation parodontale.
Dent à extraire, temporisation, implant : le cas est à la fois simple et complexe. Il est complexe dans le sens où il faut prendre le temps nécessaire pour expliquer le projet thérapeutique, radio, photo et cas similaires à l’appui.
Rien d’insurmontable.
Du reste, ma patiente me donne son accord, y compris sur les étapes des soins.
Mais soudain, elle me demande si sa dent sera sauvée après la greffe osseuse…
Je recommence à zéro en posant les choses différemment, insistant sur la nécessité d’une extraction.
Elle reformule les choses de manière claire, elle a compris.
Nous sommes sur la bonne voie.
Mais quelques secondes plus tard, elle demande si elle pourra embrasser son amoureux avec le petit appareil amovible transitoire.
Je dissimule mon étonnement et je reprends tout avec elle. Il me semble qu’elle a saisi.
Nous passons à la prescription médicamenteuse.
Elle conclut par : « Donc, vous allez m’arracher cette dent, Docteur ? ».
Cette femme a pourtant toute sa tête.
Je la crois même très intelligente et parfaitement équilibrée.
Que se passe- t-il ?
Alors en un éclair, me revient le film avec un patient qui avait consulté pour une douleur sur une molaire supérieure dépourvue d’os, l’apex de la racine vestibulaire communiquant avec la cavité buccale. Il avait dit oui à chacune de mes observations, m’avait donné son accord pour une extraction.
Devis et ordonnance en poche, sur le pas de la porte, il m’avait alors demandé à quel moment la molaire serait dépulpée…
Aussi rodés soyons-nous, la relation avec les patients a parfois des zones d’ombre.
Comme pour cet ancien patient, je me retrouve aujourd’hui avec cette dame dans une sorte de trou noir.
Celui du déni.
Existe-t-il une recette miracle contre le déni ?
Non.
Je lui propose de prendre du recul, de bien réfléchir à l’urgence, et de me rappeler quand elle sera prête.