À bas la convention, vive la disruption !

À bas la convention, vive la disruption !

Publié le lundi 02 avril 2018

Point de vue / Idées 


Pourquoi pas inventer une exception de santé publique équivalente à l’exception culturelle ?

Si l’on en croit la « stratégie de transformation du système de santé » présentée par Édouard Philippe et Agnès Buzyn le 13 février dernier, une rupture se préparerait dans le secteur de la santé. Selon Angèle Malâtre-Lansac, elle se présente sous la forme d’un plan en cinq actes « auquel l’ensemble des acteurs va devoir se plier » (1).

Comme ailleurs, il n’est ici question ni de négociations, ni de contributions mais de « concertation ». Traduction : nos professions vont être soumises à une rupture venue d’en haut. Rien à voir, donc, avec les trois étapes dont nous parle Jean-Marie Dru dans l’entretien qu’il donne dans ce numéro du JSOP à propos de la disruption : « convention », « vision », « disruption » (2) .

Convention ?
Est convention ce que l’on ne prend plus la peine de remettre en question. Par exemple, systématiser l’enchaînement d’actes invasifs – pulpite- endo-RCRC-céramique – ou encore, ne plus réaliser les extractions simples, le soin aux enfants, les soins d’urgence ou, tout simplement, prendre le soin d’expliquer. Réparer plus tard plutôt que prévenir très tôt. Au rythme de la CCAM, courir après le temps pour ne plus écouter le patient. Croire en la tech nique et désespérer de l’être humain.

Marc Roché et Philipe Safar

Vision ?
En voilà une : une pratique centrée sur le patient et guidée par des indications qui évolueraient au rythme d’une formation continue bien comprise. Une pratique dans laquelle, quel que soit le contenu de la séance, la rémunération resterait honorable, de telle sorte qu’étant prescripteur et exécuteur, cela n’influerait pas sur la décision thérapeutique. Une pratique où les besoins et les demandes des patients resteraient ainsi au centre des décisions thérapeutiques et ne placeraient pas le praticien en situation de conflit de loyauté (3). Est vision la prévention plus que la réparation. Placer réflexion avant action. Responsabiliser le patient et ne plus stigmatiser le praticien. Croire en la pédagogie en place de démagogie.

Disruption ?
La disruption – et non la rupture venue du haut qui nous est promise – consisterait en un dépassement de la convention qui nous lie à l’assurance maladie. Ici, tous les points de vue seraient pris en considération : ceux des représentants légaux de la profession mais également des sociétés scientifiques, des associations de consommateurs. Ceux d’universitaires aussi, bien sûr, qui considèrent à juste titre dans une lettre ouverte au directeur général de l’Uncam, que les « propositions [...] lues sont l’exact inverse de la pertinence des soins que défend notre ministre de la Santé » (4), ou qui mettent en avant la pédagogie d'« un reste à charge comportemental » (5).

Et, pour que la prévention ne soit pas qu’un vain mot, pourquoi ne pas lancer un symbole fort avec un reste à charge zéro pour les brosses à dents, plutôt que sur la prothèse ? Pourquoi enfin, ne pas tenir compte, comme on l’a fait pour l’exception culturelle, d’une exception de santé publique pour considérer le déficit contrôlé des comptes de la branche maladie comme le marqueur d’une société développée et soucieuse de solidarité ?

En l’absence d’une telle démarche, il est fort à craindre que, nouvelle convention ou règlement arbitral, la situation des patients des classes moyennes en soit encore aggravée, comme en sera aggravée celle des jeunes omnipraticiens les plus respectueux de la convention.

Marc Roché et Philippe Safar,
président et prédent d'honneur de la SOP


Légendes :

  1.  Institut Montaigne / Santé la grande transformation 
  2.  Grand entretien avec Jean-Marie Dru : « L'innovation disruptive dans les systèmes de santé » 
  3. « C’est mon avis » - Clinic 366. 2018 : 39 : 228.
  4.  Drs Jean-Pierre Attal, Michel Bartala, Pascal de March, Olivier Étienne et Gil Tirlet. Contact : universitaires.odonto@gmail.com .
  5. Thèse de Marco Mazevet dirigée par Martine Bonnaure-Mallet, et Terra Nova.
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