Un silence de cathédrale - Conditions hostiles et questions déplacées

Un silence de cathédrale

Du fait de la complexité de la tâche de l’opérateur, des conditions du direct et des impératifs de prise de vue, l’impression de ralentissement progressif de l’intervention se confirme. Jean-Yves Cochet doit prendre des positions inhabituelles afin de libérer un champ d’accès au caméraman, ou se contraindre à effectuer sous microscope certains gestes traditionnellement réalisés en vision directe afin que toute l’assistance puisse observer. Progressivement, la concentration de la salle devient de plus en plus perceptible. Silence de cathédrale. Là où, lors de conférences classiques, la critique tombe parfois lapidaire de la part de praticiens confortablement installés, on ressent cette fois que toute la salle accompagne et soutient dans son effort celui qui a accepté de se soumettre au regard avisé, mais jamais acquis d’avance, du public de la SOP.

L’heure tourne et le président de séance, Meyer Fitoussi, s’inquiète :

« Quand estimes-tu que ta préparation apicale sera terminée ?

Sa question est bien comprise dans son sens clinique, mais aussi plus pratique, puisqu’elle déclenche les rires du public : les estomacs commencent à être tenaillés par la faim.

– C’est terminé, Grégory (Caron) est en train de spatuler l’IRM® ! C’est un matériau difficile à préparer à consistance optimale.

Et Meyer Fitoussi d’insister :

– Tu utilises de l’IRM® à prise rapide ? »

Nouveaux rires dans la salle.

 

Conditions hostiles et questions déplacées

Après avoir réalisé l’hémostase à l’aide de compresses et d’Astringedent®, Jean-Yves Cochet roule l’IRM® en forme de boudin d’un doigt ganté. Il le coupe en plusieurs portions, lui donne une forme conique et, avec une spatule de bouche, l’insère dans le canal avant de le déplacer en direction coronaire avec un fouloir court de taille moyenne, puis avec un fouloir plus fin et plus long. Il effectue plusieurs apports en réitérant la même séquence. Une fois l’IRM® pris, il en affine l’état de surface à l’aide d’une fraise Prisma.

La révision de l’alvéole s’impose afin de le nettoyer des débris d’IRM®, des résidus d’Astringedent® et provoquer un saignement qui permettra la constitution d’un caillot. Après cela, la suture est menée avec un fil à suturer Vicryl® à résorption rapide tandis que François Bronnec commente :

« Il est difficile à manipuler, mais ne retient pas la plaque dentaire, ce qui n’est pas le cas de tous les fils. »

Alors que Jean-Yves Cochet termine ses sutures, une question incongrue est lue sur la table d’animation :

« Lorsque l’on exécute ce genre de chirurgie avec un tel souci de la stérilité, n’aurait-il pas été nécessaire de procéder à un détartrage ? »

Nul n’avait noté la présence de tartre sur les images magnifiées par le microscope, mais Jean-Yves Cochet remet les choses à plat :

« N’exagérons pas ! S’il y avait un petit fragment résiduel de tartre en vue microscopique, ce n’est pas un drame ! Compte tenu du fait que j’interviens sur une patiente qui devait être opérée par un autre praticien, j’ai exclusivement consacré l’heure du rendez-vous préopératoire à la prise de contact et aux explications de ce que nous allions faire. Il ne faut pas oublier notre patiente. Ce qu’elle fait est admirable, et on devrait la remercier. »

Applaudissements fournis de la salle pour la patiente et son praticien. Meyer Fitoussi invite l’opérateur, de retour dans la salle, à un débriefing :

« Alors, tes impressions ?

Visiblement marqué par l’effort, Jean-Yves Cochet confie :

– Difficile, difficile ! Mais je remercie la patiente, qui a été parfaite. Pour moi, ce n’était pas évident : je n’avais pas mon assistante, le microscope était ultra-performant, mais on nous a mis un mur sous le nez et je ne voyais rien. C’était des conditions hostiles. »

Très tôt, les participants avaient compris que la difficulté ne résiderait pas dans le cas lui-même, mais bien dans les circonstances particulières de l’intervention.

Pour un praticien à la réputation bien établie, accepter ce défi, dans ces conditions, consistait à se remettre en cause courageusement devant ses pairs. C’est ainsi qu’un réel courant de sympathie finit par passer, d’autant que Jean-Yves Cochet répond avec une grande élégance à l’ensemble des questions posées, y compris celles qui peuvent paraître déplacées…

 

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