Endodontie : quid des instruments manuels ?

par François Bronnec

ON POURRAIT CONSIDÉRER que les techniques anciennes faisant appel aux instruments manuels sont obsolètes, alors que les techniques, dites « modernes », faisant appel à la rotation continue permettent de gérer toutes les situations cliniques ( figures n°1 et n°2 ).

Mais en réalité, peu d’études sont disponibles pour comparer les résultats cliniques des deux approches. Cependant, si les taux de succès sont comparables lorsque les traitements sont réalisés par des endodontistes exclusifs, il est indéniable que l’apparition de la rotation continue a permis de rendre accessible au plus grand nombre la réalisation de préparations canalaires d’excellente qualité, y compris dans le traitement de dents à l’anatomie complexe.

Les concepts de l’endodontie moderne tels qu’acceptés universellement aujourd’hui ont été établis, il y a 40 ans, par Herbert Schilder. C’est l’intégration des réalités anatomiques qui a permis de définir les standards actuels du traitement : mise en forme du canal, nettoyage et désinfection du réseau canalaire, obturation tridimensionnelle. Ces trois étapes sont intimement liées, le résultat final dépendant de la parfaite réalisation séquentielle de chaque étape. Dans la technique manuelle, la mise en forme est une technique sérielle, la longueur de travail est définie radiologiquement et l’obturation est réalisée par compactage de gutta chaude. L’évolution ne tient pas dans des changements conceptuels majeurs, mais plutôt dans les avancées technologiques : arrivée des aides optiques (loupes puis microscope opératoire) et des localisateurs d’apex permettant de définir précisément le foramen (on ne cherche plus à travailler à la constriction ou à la recréer, mais à construire une forme conique à partir du foramen apical, c’est-à-dire au zéro du localisateur d’apex).

La véritable révolution dans ce domaine est l’apparition de la rotation continue avec les instruments en nickel titane (NiTi). Cette technologie permet une mise en forme avec un nombre extrêmement limité d’instruments (trois ou quatre et, au maximum, six). Le gain de temps procuré ne doit, toutefois, pas nous faire oublier que 35 % des parois demeurent non instrumentées et que la présence de débris pulpo-dentinaires résiduels nécessite de compléter cette mise en forme. La préparation canalaire implique donc de réaliser un nettoyage et une désinfection au moyen d’une irrigation canalaire. La solution de choix est l’hypochlorite de sodium (entre 1% et 5%) pour son action solvante et bactéricide, avec un rinçage final à l’aide d’EDTA liquide afin d’éliminer la boue dentinaire.

Enfin, la phase de l’obturation canalaire a été grandement simplifiée avec les dispositifs de plastification à chaud de la gutta-percha. Pour autant, faire le choix de la modernité signifie-t-il nécessairement jeter ses instruments en acier ?

La réponse est et restera non. Il est toujours indispensable de sécuriser l’accès au foramen avec des instruments manuels (limes K 15, K 20), d’une part, et, d’autre part, certaines configurations canalaires constituent des contre-indications absolues à l’utilisation de la rotation continue (telles qu’un crochet apical ou une double courbure). De fait, la sanction, par la fracture instrumentale, est souvent là pour nous ramener à la prudence !

Dans tous les cas, seuls les instruments en acier précourbés (lime K 10 puis K 15) permettent d’appréhender l’anatomie canalaire et, notamment, la présence ou l’éventuelle sévérité de la courbure apicale. Afin de déterminer si l’on peut, ou non, utiliser les instruments rotatifs en NiTi, il convient de procéder à un test simple. Après avoir réalisé la mise en forme de la partie coronaire du canal et exploré (et sécurisé) sa portion apicale, on essaie d’insérer une lime K 15 non précourbée jusqu’à la longueur de travail. Dans l’hypothèse d’un échec, le praticien devra avoir recours à une technique manuelle classique ou, pour être moderne, il pourra précourber à l’aide d’une pince à mors ronds les instruments de mise en for me en NiTi utilisés manuellement. Il est en effet possible de précourber des limes en NiTi !

Le protocole est alors le suivant (avec des Finishing Files du système ProTaper®), on insère l’instrument précourbé dans le ca nal jusqu’à la première résistance (avec sa courbure orientée dans la direction de la courbure naturelle du canal), puis l’on effectue un quart de tour dans le sens horaire afin d’engager l’instrument dans les parois canalaires. Enfin, deux demi-tours sont donnés dans le sens anti-horaire pour désengager l’instrument et avoir une action sécante ( figures n°3 et n°4 ).

 

EN CONCLUSION, on utilise des instruments en NiTi précourbés manuellement, ce qui revient à mettre en oeuvre des concepts anciens en utilisant un matériel moderne ; c’est même ainsi que l’on enseigne l’endodontie sans risque aux étudiants de deuxième cycle ! Les étapes du traitement sont alors :

• la négociation initiale avec des limes en acier précourbées : K 10 et K 15 ;

• le pré-élargissement des deux tiers coronaires avec des instruments rotatifs ;

• l’exploration et la sécurisation du tiers apical à l’aide des limes K 10 et K 15 ;

• l’évaluation de la sévérité de la courbure apicale : test de la lime K 15 non précourbée ;

• la mise en forme et la finition apicale à l’aide d’instruments en NiTi précourbés.