Le sel de la terre

Philippe Milcent (rédacteur en chef du JSOP)

Publié le lundi 10 septembre 2018

« L’odontologie va-t-elle passer entre les mains des Gafam ? »
Philippe Milcent

CET ÉDITORIAL AURAIT PU S’APPELER « COMME JE ME SUIS TROMPÉ ». En effet, il y a un peu plus de dix ans, j’écrivais en substance dans les colonnes du JSOP qu’aucun logiciel ne poserait jamais un diagnostic, qu’aucun appareil ne prendrait jamais une empreinte, ne poserait un implant, etc. Et surtout, je concluais d’un définitif : « Nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes pas seulement responsables : nous sommes irremplaçables » (1). L’intelligence artificielle a eu raison de ma magnifique pensée visionnaire… Car oui, l’IA va tout bouleverser, et y compris, bien sûr, notre métier.

Certains logiciels accumulent en quelques minutes plus d’informations que plusieurs d’entre nous ne pourraient jamais compiler dans toute une vie, et ces logiciels suivent la loi de Moore : ils doublent leur capacité tous les 18 mois (2). Personne n’est capable d’une telle performance.

Notre prétendue expérience, notre soi-disant « sens clinique » seront surpassés sans difficulté par une IA dont nous peinons aujourd’hui à appréhender l’étendue des possibilités (3). Mais, et même avant d’en avoir une vue précise et générale, on sait déjà que les logiciels de plan de traitement, nourris par le big data, ne vont cesser de progresser pour devenir bien plus efficaces et plus performants que tout ce que nous pensons savoir faire (4). Et cela, ce n’est pas demain, c’est maintenant et aujourd’hui.

Ne nourrissons aucune illusion : les machines pourront parfaitement, à l’aide de l’imagerie 3 D et de technologies en voie d’élaboration, exécuter des traitements canalaires, poser des implants, pratiquer des chirurgies, et même de la chirurgie dentaire régénérative et non plus réparatrice.

Plus que jamais, nous devons accompagner le changement, comme nous y invitait Stéphane Simon dans sa conférence lors des 50 ans de la SOP. En quelques années, notre pratique va voir autant de changement qu’elle n’en a jamais vu, justement, en 50 ans.

Notre profession va probablement disparaître, en tous cas, dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Toute la question est de savoir si une toute autre profession naîtra de l’ancienne, ou si l’odontologie passera sous la coupe des Gafam (5). À nous de saisir ces nouveaux outils sans en devenir les prisonniers.

« Nous étions les guépards, les lions, et nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre », selon la célèbre réplique du film Le guépard. Le sel de la terre sera-t-il ce qui nous restera pour réaliser l’interface entre la machine et l’humain et, parfois, être subversif ? Ou bien, avec l’aide de l’IA, progresserons-nous vers l’intelligence augmentée ?

Rendez-vous dans dix ans !
 

Philippe Milcent, 
rédacteur en chef du JSOP

  1. « Wellcome to the Machine » éditorial JSOP n° 5, mai 2007, p. 5.
  2. La loi de Moore énonce qu’un ordinateur double ses capacités tous les 18 mois, ce qui est évidemment exponentiel.
  3. Dr Laurent Alexandre, La guerre des intelligences, éd. J.C. Lattès 2017 ; 123-130.
  4. Guy Vallancien, La médecine sans médecins - Le numérique au service du malade, éd. Gallimard.
  5. Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.