Oasis

Philippe Milcent (rédacteur en chef du JSOP)

Publié le vendredi 01 décembre 2017

Voilà les raisons pour lesquelles je ne viendrai pas dans votre désert...
Philippe Milcent

J’AI REÇU RÉCEMMENT (peut-être l’avez-vous reçu également) un courrier en provenance de la mairie d’un petit bourg de France. Le maire me propose de venir m’installer dans son désert médical composé d’une « patientèle énorme en attente de votre spécialité ».

Il propose de m’accueillir dans une maison de santé pluridisciplinaire « en cours de réalisation dans un ancien corps de ferme » avec plusieurs fauteuils et possibilité d’habitation sur place.

  

L’OFFRE EST ALLÉCHANTE, M. LE MAIRE, mais s’installer dans votre désert ne signifierait hélas nullement exercer dans une oasis de liberté, d’humanité… et de responsabilité. Même si la vie dans votre commune est certainement très agréable, il ne me sera pas possible d’échapper à toutes les contraintes, que dis-je les contraintes, les embûches, les traquenards, les pièges, les obligations auxquelles nous sommes confrontés.

Citons au hasard, mais la liste est longue et le volume de cet éditorial ne serait pas suffisant pour les nommer tous :

- les dispositions inhérentes à la radioprotection qui voient nos installations comme des centrales nucléaires ;

- l’affichage de nos honoraires réduits au format A 4 d’une feuille de papier alors que la complexité de notre métier rend impossible un condensé de tous nos actes ;

- la mention, sur nos devis, du prix du « dispositif médical sur mesure » – comme si on demandait à un restaurateur de nous fournir la facture de ses achats de viande et de légumes – ;

- l’obligation de déclaration à la Cnil ; la mise en place du « document unique » ;

- l’évaluation des risques professionnels en cabinet dentaire ;

- la surveillance et mémorandum de la péremption des produits.

J’en passe et des meilleures mais je n’oublie pas, « last but not least », la CCAM qui nous cadre, nous enferme, nous lie dans une nomenclature bureaucratique « déresponsabilisante » et humiliante.

  

M. LE MAIRE, MON GRAND-PÈRE ÉTAIT CHIRURGIEN-DENTISTE et exerçait dans un bourg comme le vôtre. Il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait.

La sécurité sociale ni aucun autre organisme n’existaient et il fixait donc ses honoraires librement mais en toute responsabilité, avec un réel tact et mesure, et au juste prix. Cela lui permettait parfois de demander moins que le tarif habituel, voire pour certains de ne percevoir aucune rémunération.

On me dira : « Mais, c’est paternaliste ! » Non, tout simplement humain. On rétorquera : « Mais, ce n’était pas égalitaire* ! »

Peut-être, mais il compensait lui-même le mauvais sort de certains.

Il est vrai que l’État, avec son jeu complexe et parfois obscur de prélèvement-redistribution, ne supporte pas que ce genre de choses lui échappe. Drôle de pays qui propose des compensations aux handicaps que l’on nous fabrique !

Alors, M. le maire, pour toutes ces raisons, je me vois contraint de décliner votre offre.

Je ne sais pas aujourd’hui ce que sera le devenir de votre commune, ni celui de notre profession, mais je vous souhaite néanmoins de trouver preneur, car je ne doute pas que vos administrés ont besoin de soins.

Je vous prie de croire, M. le maire, en l’assurance, etc.

   

Philippe Milcent,

rédacteur en chef du JSOP

 

* Cette obsession quasi pathologique de l’égalitarisme nous conduit parfois à adopter des cheminements qui aboutissent à l’inverse du but recherché.