Coquecigrues

Philippe Safar (président d'honneur SOP)

Publié le dimanche 01 mai 2016

S'il est patent qu'il faut gagner sa vie, il convient que le travail demeure une vertu...
Safar

LA SOCIÉTÉ CIVILE S’EMBRASE autour du projet de loi El Khomri sur le travail. D’un côté, on déplore un texte totalement édulcoré dont l’impact serait psychologiquement nul et économiquement anecdotique.

De l’autre, on se mobilise pour préserver un droit qui protège le salarié, mais dans un marché du travail qui se contracte à mesure qu’augmente l’ubérisation de l’activité. Dans cinquante ans d’ailleurs, il n’est même pas sûr que le statut de salarié soit encore en vigueur.

Car la notion de travail évolue.

Dans l’Antiquité, il était l’apanage de la servilité puisque considéré par nature comme avilissant. L’homme libre, lui, disposait du loisir de penser et de jouir de la vie.

Beaucoup plus tard, Kant et Hegel ont fait évoluer le regard sur le travail.

La machine à vapeur, les moteurs transformant les matériaux naturels, l’organisation de la société : le travail devenait source d’émancipation.

Mais Karl Marx révolutionnera cette perspective en considérant le travail comme un facteur d’aliénation. Le travail comme dignité, honneur et vertu n’était en réalité qu’exploitation de l’homme par l’homme.

 

AUJOURD’HUI, DANS NOS SOCIÉTÉS DÉVELOPPÉES, la révolution numérique, l’automatisation, la robotisation ou encore la CFAO réduisent drastiquement l’intervention de l’homme et notamment manuelle. Même la médecine n’échappe pas à cette révolution technologique. Elle doit s’adapter et calquer son devenir sur la société industrielle moderne.

L’innovation va nous contraindre à accroître nos qualifications pour rester en phase avec l’évolution de la technique et préparer la transition. Pour la médecine, et pour notre profession plus encore, s’approprier les défis de la transition numérique ne suffira pas. Nous devrons accroître les rendements et les cadences, accroître la productivité pour satisfaire aux injonctions de la puissance publique dans le même temps que nous bénéficierons des avancées technologiques. On peut s’inquiéter, se lamenter…

Pourtant l’automatisation des tâches a ses limites. Gare aux coquecigrues !

 

UN NOUVEL HUMANISME RESTE À INVENTER pour maintenir une médecine viable

à visage humain. La « machine à manger » de Charlot dans les Temps Modernes est un souvenir impérissable. La main de l’homme est un outil incontournable, et s’alimenter reste un plaisir.

Il en va de même du travail du praticien : s’il est patent qu’il faut gagner sa vie pour subsister, il convient que le travail demeure une vertu, source de richesse pour le moral et le lien social qui permette d’entretenir une relation de confiance et un échange avec le patient.

Nous devons opposer la ferme volonté d’entretenir nos connaissances pour exercer correctement notre activité variée et valorisante, sans rien céder sur la qualité de ce que nous offrons.

 

 

par Philippe Safar